L'âge d'Or

La loi du 29 juillet 1881 constitue un tournant capital dans l'histoire de la presse. Marc Martin soulignait à ce sujet que la loi de 1881 avait rompu « [...] tout lien de dépendance légale de la presse à l'égard du pouvoir politique, a[vait] transféré les relations entre le journalisme et le politique dans le domaine de la sphère privée ». Pierre Albert, historien de la presse, ajoute que cette loi « [...] négligeait aussi de protéger la presse contre le pouvoir, désormais autrement dangereux pour elle, des puissances d'argent, et cette liberté ne garantissait pas l'indépendance des journaux ». Cette question d'importance trouve sa justification en 1892 lorsqu'éclata le scandale de Panama (versements de bakchichs à de nombreux directeurs de journaux parisiens - dont Georges Clémenceau - et de rédacteurs). Ce fut avec l'affaire Dreyfus, la cible préférée de la presse d'extrême droite malgré l'implication du rédacteur de La Revue des Deux Mondes, Léon Daudet - futur fondateur de l'Action Française. Celle-ci dénonça les Francs-Maçons et les Juifs qui étaient impliqués, selon elle, dans toutes sortes d'affaires douteuses. Pierre Albert conclut par ces mots :

« La loi ne fut remise en cause qu'à l'occasion de la crise anarchiste par les fameuses lois scélérates qui, en décembre 1893, élargissait la notion de provocation au crime par voie de presse et, en juillet 1884, déférait à la correctionnelle les articles qui ont un but de propagande anarchiste. Une fois la crise passée, ces textes tombèrent en désuétude. »

L'essor de la presse s'explique également par les progrès réalisés dans le domaine technologique. Les rotatives, de plus en plus perfectionnées et de tailles de plus en plus importantes, sortaient des journaux à la pagination abondante, à un rythme élevé. En 1914, 50 000 exemplaires de 24 pages pouvaient être imprimés en une heure grâce à plusieurs machines, plusieurs sorties. Si certaines techniques n´évoluèrent que lentement, la composition, quant à elle, connut une véritable révolution avec la découverte des composeuses mécaniques. C´est le linotype, élaborée en 1884 à Baltimore par Ottmar Mergenthaler qui s´imposa malgré les réticences des ouvriers typographes et des fondeurs de caractères. L´illustration se modernisa avec l´incrustation de photographies grâce à la similigravure en 1882, procédé découvert par l´Allemand Georg Meisenbach puis amélioré par l´Américain Ives en 1885. En 1895, le Tchêque K. Klic et l´Anglais S. Fawcett lancèrent la première rotative moderne à impression héliographique. L´héliogravure permit de graver directement des textes sur les cylindres des rotatives. La lithographie, procédé assez ancien, donna naissance au début du siècle à l´Offset. Enfin, la transmission des clichés photographiques par fils ou ondes fut découverte par Korn en Allemagne et par le Français Eugène Belin qui perfectionna son appareil. Ce dernier donna son nom au cliché ainsi transmis : le bélinographe.

L'Indicateur de Bayeux, comme nombre de journaux a donc vu sa maquette évoluer. Trois numéros de 1848, 1871 et 1936 en témoignent.

L'Indicateur de Bayeux, 1848 L'Indicateur de Bayeux, 1871 L'Indicateur de Bayeux, 1936

Les journaux se transforment en voyant leur pagination grossir. Les feuilles à grands tirages passent à 6 pages vers 1899-1903 puis à 8 en moyenne en 1914. La mise en page se clarifia et des règles s'imposent : colonnes - Le Moniteur du Calvados -, grands titres, illustrations vers 1885-1890 et après 1900 les photos - La Revue illustrée du Calvados. La presse se diversifia. Les journaux populaires cotoyaient les journaux de qualité. Aussi, le prix variait d'un journal à un autre. En 1905, La Vigie de Cherbourg, bi-hebdomadaire, était vendue 5 centimes tandis que Le Granvillais et Le Journal de l'Orne, deux hebdomadaires étaient vendus 5 et 10 centimes. La Revue illustrée du Calvados, mensuel sorti en 1907, était vendue 40 centimes en 1910 puis 50 en 1913. Le Moniteur du Calvados, hebdomadaire, restait à 5 centimes en 1914. Le prix du Lexovien, journal paraissant deux fois la semaine, était de 25 centimes en 1922. Dans la Manche et un peu plus tard, Le Courrier de la Manche, L'Écho de la Manche et Le Mortainais, trois hebdomadaires de fin de semaine, étaient vendus 25 centimes.

La vie politique, au début du siècle, suivait un rythme désormais bien connu, scandé par des renversements d'alliances et des chutes de cabinets ministériels, complètement imprévisibles, mais tout aussi attendus que les élections législatives générales qui se déroulaient tous les cinq ans. Aussi, était-il prévu de procéder en 1906 au renouvellement de la Chambre des députés.

L'antisémitisme de La Croix lors de l'Affaire

La législature qui s'achevait, expirait dans un climat exécrable, nourri par les passions de l'heure : l'Affaire Dreyfus, celle des Fiches et l'adoption de la loi qui instaura la Séparation en décembre 1905. Au sujet de cette dernière, Le Glaneur, édition bayeusaine de la très républicaine feuille caennaise le Réveil Normand, eut ces mots : « Les véritables ennemis de la religion sont les prêtres qui font de la politique. » Si partout en France, cette élection vit s'affronter "Réactionnaires" et "Blocards", conservateurs et républicains, ce n'était pas le cas à Bayeux où la gauche, quasi inexistante, ne présenta pas de candidat. L'effet conjugué des candidatures du baron Gérard, député monarchiste sortant à la forte personnalité, et du nationaliste Louis d'Arthenay, avait annihilé de facto toute chance de succés républicain.

L'antisémitisme et le complot judéo-maçonnique revenaient sans cesse dans les colonnes. Le Glaneur de la Manche évoquait la "Constitution tronquée". Ce même journal dénonçait avec La Revue antimaçonnique la "trahison des Loges" et la "conjuration juive".

La candidature de Dariac, Avenir de l'Orne, 1910

Lors des élections législatives de 1910, Adrien Dariac, candidat de la gauche était soutenu par L'Avenir de l'Orne, tandis que l'Indépendant de l'Orne propageait la bonne parole du comte de Lévis-Mirepoix, député sortant.

La candidature du comte de Lévis-Mirepoix, L'Indépendant de l'Orne, 1910

Dernier candidat, avec Ernest Flandin et Jules Delafosse, à se réclamer du bonapartisme, Fernand Engerand, député de la seconde circonscription de Caen, était le fils d'Auguste Engerand, élu en 1889 sous l'étiquette bonapartiste-boulangiste dans la circonscription de Caen I. Auguste Engerand écrivait à la fin des années 1870 dans L'Ami de l'Ordre, organe bonapartiste. Si les républicains, forts des succés de Henry Chéron dans la première circonscription de Caen et d'Albert Mahieu à Cherbourg lors du scrutin de 1906, ne faisaient plus figures de novices, ils eurent bien des difficultés à trouver un homme pour affronter le député sortant de Caen.

La Vigie de Cherbourg, républicain, 1906

Journal de Cherbourg, républicain de concentration des Groupes de gauche, élection législative de 1906.

L'Écho Normand prend fait et cause pour Fauchier-Delavigne, candidat républicain, 1914

Emmanuel Fauchier-Delavigne fut celui-ci. Inconnu, cet industriel parisien originaire de la région de Caen, ne reçut pour ainsi dire jamais le soutien des feuilles républicaines qui s'étaient pourtant multipliées pour l'occasion. En effet Étienne Knell et Auguste Nicolas, respectivement candidats républicain libéral et radical dans la première circonscription, bénéficièrent du soutien de L'Égalité et du Courrier Normand, deux journaux à l'existence éphèmère car créés pour les besoins des élections. Seuls Le Journal de Caen et La Semaine Normande apportèrent leur concours à Fauchier-Delavigne. L'une des nouveautés de ce scrutin résidait dans l'apparition de l'isoloir que Le Bonhomme Normand considérait comme une grotesque cabine : « [...] Pourquoi imposer [...] ce passage dans un petit confessionnal civique ? On a beaucoup critiqué certaines pratiques religieuses extérieures. Aucune pourtant n'a le caractère burlesque de cette cérémonie électorale. »

Les républicains font quelques progrès, emportent quelques mairies. Les socialistes n'ont, dans la région et à cette époque, jamais vraiment réussi à s'imposer. Quelques journaux virent cependant le jour. L'un des premiers fut sans doute Le Haro en 1892, suivi en 1902 par Le Travailleur socialiste, en 1905 du Semeur et de Combat en 1907. Bien d'autres suivront après guerre.

Le Semeur, journal socialiste, 1905
acrobaties aériennes dans Le Nouvelliste, 1914

Le sensationnel fait ses débuts dans la presse. Le Nouvelliste en est la parfaite illustration. Le temps est à la fête, on ne se soucie guère du lendemain et on annonce un bel été.

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L'Indicateur de Bayeux, 1848
L'Indicateur de Bayeux, 1871
L'Indicateur de Bayeux, 1936
L'antisémitisme de La Croix lors de l'Affaire
La candidature de Dariac, Avenir de l'Orne, 1910
L'Écho Normand prend fait et cause pour Fauchier-Delavigne, candidat républicain, 1914
Le comte de Lévis-Mirepoix, député conservateur d'Alençon
La candidature du comte de Lévis-Mirepoix, L'Indépendant de l'Orne, 1910
Le Semeur, journal socialiste, 1905
acrobaties aériennes dans Le Nouvelliste, 1914