La Restauration

Louis-Philippe Útouffant la presse

La monarchie censitaire, comme l'Empire, n'eut de cesse de contrôler la presse. Pas moins de 18 réformes législatives régirent son fonctionnement sous ce régime. La Restauration tente par tous les moyens de l'étouffer, comme en témoigne la caricature reproduite ci-contre. La loi Serre introduit le cautionnement en 1819. En cas de condamnation, la caution est encaissée par le Trésor. Cela signifie pour nombre de journaux une cessation pure et simple d'activité. Les journalistes sont donc obligés de pratiquer une certaine forme d'autocensure, ce qui n'empêche pas le Préfet de procéder à une relecture des articles avant parution. Au sortir de l'Empire, la presse bas-normande se limite à un journal par département : Journal du Calvados, Journal de l'Orne, Journal de la Manche. Composée du doyen de la faculté de droit, du secrétaire de la faculté de sciences et d'un abbé, la commission de censure ne déborde donc pas d'activité. Son rôle, selon le préfet, est d' « (...) d'écarter des écrits soumis à son examen tout ce qui pourrait porter atteinte à la religion, au Roi ou à la légitimité et aux intérêts reconnus et consacrés par la Charte ».

Lepeltier céde la direction du Journal du Calvados à sa fille Élisabeth en 1819. Dès lors son orientation change radicalement et devint "ultra-libérale". La commission de censure est critiquée, ses membres raillés. La même année, le parti royaliste crée une feuille, l'Observateur neustrien. L'équipe rédactionnelle comprend notamment de Ranville, fils du ministre de l'Instruction publique et des Cultes. On peut lire dans un numéro de juin 1830, lors du retour au pouvoir des "Ultras", les lignes suivantes : « Que là où les idées de désordre et de confusion ont une tribune, les principes conservateurs en aient une ; qu'à ces folles et dangeureuses théories qui ont déjà coûté le sang le plus pur de la patrie, l'on oppose ces doctrines éprouvés par les siècles dont elles portent le cachet ; que la vérité, dans sa noble simplicité, soit la seule réplique à ces viles calomnies dont la presse libérale salit quotidiennement ses feuilles. (...) ». La mode des cabinets de lecture, chambres littéraires dans la Manche, resurgit à cette époque. On y lit bien sûr la presse et l'on y parle politique. Les cafés représentent un danger plus grave en accueillant une clientèle populaire, laquelle se rue sur Le Constitutionnel, journal d'opposition.

Journal d'Alen?on, 1830
L'Ami de la V?rit?, 1832

Le changement de régime n'apporte pas les libertés attendues. Le Pilote, ancien Journal du Calvados, passe dans les rangs de l'opposition et rejoint là le très légitimiste Ami de la vérité, successeur de l'Observateur neustrien. Orléanistes et légitimistes s'affrontent partout, y compris dans les journaux. Le pouvoir finit par avoir raison de L'Ami de la vérité. Les républicains, dont Georges Mancel, s'expriment quant eux dans L'Avenir de Caen puis dans Le Haro, lequel est ouvert aux idées socialistes. En 1842, Pont, son directeur est condamné à verser une amende de 5000 francs ainsi qu'à 13 mois de prison. Depuis 1832, Le Mémorial du Calvados, de l'Orne et de la Manche, créé par le préfet Target, exprime à volonté les idées du pouvoir, lequel est ouvertement attaqué par Le Patriote de Lisieux, feuille au ton très arrogant.

Le Patriote de Lisieux, 1831

La création sous l'Empire des feuilles d'affiches, annonces et avis divers avait doté les plus petites villes de journaux. Ce mouvement s'amplifie sous la Restauration et d'innombrables feuilles voient alors le jour telles les Affiches, annonces et avis divers d'Argentan ; de la ville et de l'arrondissement de Bayeux ; à Mortagne ou encore L'Hebdomadaire à Vire et bien d'autres. Non politiques, ces journaux relatent les faits divers, le cours des matières premières. Ils sont les ancêtres des journaux d'arrondissement. Les feuilletons font leur apparition, tiennent les lecteurs en haleine d'une parution à l'autre et contribuent ainsi à les fidéliser. La tentation est néanmoins grandissante de prendre part au débat politique. À Saint-Lô, L'Écho, Journal du département de la Manche, dirigé par Julien Travers, exprime nettement les idées anticléricales de ce dernier. Aussi, peu à peu, et non sans condamnation et autres tracasseries administratives, quelques journaux passent sous les fourches caudines de la loi, ce qui conduit incontournablement à la création d'une seconde feuille d'avis contraire. C'est ainsi que de simples bourgades telle Honfleur voient s'affronter L'Écho honfleurais et le Journal de Honfleur.

L'Abeille de l'Orne, 1832

Le sous-préfet écrit au sujet du premier : « le fonds est fait de mauvais sentiments et d'idées révolutionnaires » alors que le second « n'a jamais voulu prêter ses colonnes aux attaques des hommes passionnés, ennemis du gouvernement (...) ». Cette presse d'arrondissement forme bel et bien l'ossature de la presse régionale.

Le Pilote, 1830

De nombreuses évolutions atteignent la presse. Le format in octavo de la Révolution et de l'Empire cède sa place à l'in quarto au début de la Restauration puis à l'in folio (environ 32 centimètres sur 45) entre 1830 et 1848. Les colonnes apparaissent, deux puis trois ; les titres adoptent des caractères à peine plus gros que le texte. La presse d'arrondissement reste hebdomadaire alors que le journal politique parait deux à trois fois par semaine. Il est devenu indépendant de l'imprimerie qui l'a vu naître. Son personnel, fort limité, comprend un gérant, lequel assure le plus souvent le rôle de rédacteur, un journaliste et quelques collaborateurs occasionnaires. Les journaux sont surtout vendus par abonnement, lequel est souvent élevé : entre 20 et 25 francs l'année pour les lecteurs du Pilote ou de L'Intérêt public dont les revenus oscillent entre 300 et 500 francs par an pour un ouvrier. Aller au café lire les nouvelles est donc moins onéreux, enfin tout dépend du lecteur.

Journal de Falaise Journal d'Avranches, 1837
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Journal d'Alen?on, 1830
L'Ami de la V?rit?, 1832
Le Patriote de Lisieux, 1831
Le Pilote, 1830
Journal de Falaise
Journal d'Avranches, 1837