Avant-propos

Le régime instauré en 1870 et qui devait s'éteindre en 1940 demeure aujourd'hui encore le plus long que la France ait connu depuis la chute de l'Ancien régime. La naissance de nombreux journaux, aujourd'hui disparus, est contemporaine de l'émergence du débat politique. L'explosion des titres au début de la Troisième République s'explique parce qu' il " [...] a toujours existé, une étroite relation, en France, entre la vie politique, la presse et l'appareil médiatique [...] " écrit Marc Martin, auteur de Médias et Journalistes de la République1, livre remarqué lors de sa sortie en 1997

La presse, quelle que soit l'époque, est le reflet de la société et c'est avec une rapidité prodigieuse que l'on se retrouve plongé en pleine affaire Dreyfus, en pleine Séparation. Le climat qui régnait au début de la Troisième République puis jusqu'à sa chute tragique était délèterre. Les propos tenus alors étaient d'une rare violence. La diffamation était monnaie courante. Violemment pris à parti par l'extrême-droite pour avoir fait interdire les ligues - particulièrement bien implantées en Basse-Normandie, Roger Salengro, ministre socialiste de l'Intérieur du gouvernement du Front Populaire, mit fin à ses jours après une campagne de presse particulièrement odieuse.

C'est en usant de sous-entendus et autres jeux de mots douteux que le Courrier de Flers, organe du baron Roulleaux-Dugage, candidat ultra-conservateur, attribua à Georges Bidault, membre du Parti Démocrate Populaire, P.D.P., des pratiques sodomites... Si le débat a gagné en dignité, certains réflexes perdurent. Et c'est une classe politique déconsidérée, car atteinte par les affaires, qui apportait à ses adversaires, et sur un plateau, les verges qui devaient ensuite servir à la fouetter. Adversaires qui n'entendaient se servir de la démocratie que pour mieux renverser la République.

Dans Le
                        Courrier de Flers, 1936, la pieuvre maçonnique

C'est également pour se garder des dérives autoritaires et fascistes - voir à ce sujet l'Ordre moral et Vichy - qu'il est bon de rappeler que la liberté d'expression est un droit inaliénable. Aucune loi n'interdira de s'exprimer. Même aux pires heures de l'Occupation, la presse clandestine circulait.

Il s'avère enfin bien délicat de dire que la presse est de nos jours bien consensuelle. Si la multiplicité des titres il y a un siècle marquait son âge d'Or, il n'existe pour ainsi dire plus en France de journaux indépendants (la Basse-Normandie n'en compte que 1 sur 152 !). L'existence de monopoles tend à limiter les opinions. Tout concourt donc à modeler les esprits. Le débat politique, déjà si confus, gagnerait-il en clarté ?Le Canard enchaîné et le Monde diplomatique, deux irréductibles luttent pour préserver leur autonomie. Aussi, il ne faut pas craindre de déclarer que les grands groupes de presse, on parle volontiers d' "empires", liés à des intérêts industriels, donc économiques, s'auto-censurent, s'interdisent d'évoquer des sujets sensibles. Les exemples sont légions. Le Parisien et L'Express, appartiennent respectivement à Hachette Filippacchi, donc Matra, et à Alcatel. Même L'Humanité, et c'est un comble, a dû ouvrir son capital au privé pour survivre, tout comme Libération du reste. Ce dernier quotidien intervint avec véhémence lorsqu'une minorité de politiques de tous horizons touchèrent, via la réforme de la Justice, à la liberté d'expression, "l'une des assises idéologiques de la IIIe République" notait Gérard Courtois en août 19973. Ce même Courtois redoutait en effet que l'on profiterait de cette réforme pour tenter de limiter les champs d'investigation de la presse, après qu'elle ait révélée les pratiques de quelques édiles depuis en délicatesse avec l'appareil judiciaire.


1. MARTIN (Marc), Médias et Journalistes de la République, Paris, Odile Jacob, 1997.

2. Voir à ce sujet l'étude du Conseil Économique et Social Régional de Basse-Normandie Les médias et l'identité régionale : réalités et perspectives, (au format pdf),(au format html) C.E.S.R. de Basse-Normandie, avril 2000, pp. 35-38. Les groupes Hersant (Les Nouvelles de Falaise, Le Pays d'Auge, La Renaissance du Bessin, La Voix Le Bocage, L'Orne Combattante, Le Publicateur Libre), Méaulle (L'Éveil de Lisieux, L'Éveil Côte Normande, L'Orne Hebdo, Le Réveil Normand, Le Journal de l'Orne) et Ouest-France (Liberté de Normandie, Le Perche, La Gazette de la Manche, La Presse de la Manche) se partagent la quasi totalité des titres régionaux. Seule La Manche Libre paraît en toute indépendance.

3. COURTOIS (Gérard), Le Monde des Livres, août 1997.

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Dans Le Courrier de Flers, 1936, la pieuvre maÚccedil;onnique